Philippe ROUSSEAU


Un mystère, même 350 après...

L'énigme du Soleil d'Orient

A qui profite le crime ?

INTRODUCTION : un bateau détourné de sa mission originelle

Quel autre bateau de la Marine française pourrait se targuer d’être auréolé d’à la fois autant de prestige, d’autant de mystère et d’autant d’opulence que le Soleil d’Orient ? Qui plus est, peu de bateaux furent frappés à ce point par la malchance.

Le Soleil d’Orient, premier grand vaisseau construit pour la Compagnie des Indes orientales (CIO) française, communément appelée Compagnie. fut aussi, à plus d’un titre, le plus important bateau de la marine française. Vaisseau de 1.000 tonneaux, 60 canons et 350 hommes d’équipage, il était supposé, transporter la gloire du roi de France aux quatre coins de la Terre.

Le mot Soleil dans le nom est tiré du Roi Soleil, titre que Louis XIV voulut s’accaparer en s’estimant l’égal de Dieu, représenté parfois sous la forme d’un soleil. « C’était en 1661, l’année où le roi Louis XIV avait été couronné et avait décrété qu’il gouvernerait seul, sans Premier Ministre. « Louis le Grand » ! Le pouvoir lui était monté à la tête, à celui-là. Il se prenait pour Dieu soi-même et se comparait au soleil ! Alors le Ciel s’était vengé en abattant sur le pays une épouvantable famine[1] »,

Pourquoi Soleil d’Orient ? Parce que le bateau était destiné à faire le commerce avec l’Orient (Inde, Chine, Madagascar, diverses îles de l’Océan indien, etc). Son importance amenait souvent les habitants des environs à venir voir évoluer sa construction. Ils disaient alors se rendre « à l’Orient », façon abrégée de dire aller voir la construction du Soleil d’Orient. Ce bateau donnera son nom au chantier (L’Orient), puis à la ville de Lorient, créée en 1666, soit deux ans après la CIO. Il fut en effet construit sur son futur site, et le soleil que l’on peut distinguer en haut à gauche sur ses armoiries représente le Soleil d’Orient.

A partir de là, trois grandes pistes sont envisageables : le naufrage, la capture et le détournement. Chacune d’entre elles détient des raisons à partir lesquelles nous formulerons des hypothèses. Nous tenterons d’évaluer leur degré de probabilité.

Colbert etait convaincu de la nécessité de fonder une Compagnie des Indes orientales et d’y affréter de nouveaux bateaux. Il etait conscient des difficultés à trouver un site pour la construction du Soleil d’Orient, les frégates et autres vaisseaux de la CIO à l’époque où le bras droit de Louis XIV orchestrait leur fonctionnement et la mise en chantier du vaisseau. Les choix effectués à l’étape de la construction du Soleil d’Orient s’avérèrent déterminants pour son avenir. Ils pourraient expliquer ses déboires en mer, que nous évoquerons dans une deuxième partie, où nous analyserons les causes de la disparition du Soleil d’Orient liées à ses retenues prolongées dans des ports par suite de catastrophes en mer. Au-delà de ces analyses, le plus important restera à faire : déterminer les circonstances de la disparition du Soleil d’Orient après qu’il ait quitté Fort-Dauphin en septembre 1681. Nous nous y emploierons dans une troisième partie.

Le Soleil d’Orient avait au départ une vocation essentiellement commerciale. En fait, ses missions se révélèrent finalement diplomatiques.

Les 60 canons et les 300 hommes d’équipage du navire semblent évoquer une mission militaire. Le fondateur de la CIO que fut Jean-Baptiste Colbert avait bien compris que le commerce ne pouvait pas se développer sans des défenses militaires. Or, Louis XIV, pris dans des guerres à répétition en Europe, ne put pas consacrer autant d’argent qu’il aurait souhaité au développement militaire des comptoirs français, en Inde notamment. Les 60 canons servaient à assurer la défense des biens transportés et la sécurité de l’Ambassade de Siam ramenée en France avec son escorte diplomatique et ses cadeaux du roi de Siam, Phra Naraï, à Louis XIV, à sa famille et à Colbert. Le montant des cadeaux est estimé à 18 millions d’euros actuels.

Ce trésor disparut avec l’Ambassade et tout l’équipage le 1er novembre 1681, entre Madagascar et le Cap de Bonne-Espérance, peu après avoir quitté Fort-Dauphin. Il n’a jamais été retrouvé à ce jour. Qu’est-il devenu ? Nous nous attacherons à rechercher les circonstances de sa disparition sur la base des documents d’époque et des reconstitutions dont nous disposons.

[1] Evelyne Brissou-Pelen, Le Soleil d’Orient, p.24


COLBERT, LA COMPAGNIE DES INDES ORIENTALES
ET LA CONSTRUCTION DU SOLEIL D’ORIENT


                                    

Le projet du Soleil d'Orient voit le jour


Le 1er novembre 1681, une date qui ne fait cependant pas l’unanimité chez les historiens, l’un des plus fabuleux navires de la Marine française, le Soleil d’Orient, disparaissait dans l’Océan Indien après avoir quitté l’Ile Bourbon, à proximité de Madagascar.


                                               Jean-Baptiste Colbert, surintendant de Louis XIV, 
                                               ministre des Finances, de la Marine
                                         et fondateur de la Compagnie 
des Indes orientales française (1664)

Le Soleil d'Orient est le plus grand bateau de l'époque construit par la Marine française.

L’histoire de ce vaisseau de 1.000 tonneaux (unité de jauge équivalant à 2,83m3), 60 canons et de son équipage de « 300 hommes auxquels il sera par nous pourvu d’un capitaine, lieutenant, enseigne et commissaire pour en avoir soin[1]», est liée à la fondation par Colbert de la Compagnie des Indes Orientales (CIO) en 1664, à la naissance de la ville de Lorient en 1666, au commerce maritime et à la diplomatie française en Asie. Notons que ce sont les mêmes officiers et les mêmes matelots qui devront rester attachés au Soleil d’Orient.[2]

Si l’histoire du Soleil d’Orient est exceptionnelle, sa disparition demeure une énigme et souleva beaucoup d’émotion. Nous tenterons, après avoir retracé son histoire; de faire le point sur l’avancée des différentes pistes de recherche concernant la localisation de son épave, les circonstances de sa disparition et de son précieux butin, constitué des cadeaux de Phra NaraÏ, roi de Siam, à Louis XIV, et évalué à 18 millions d'euros.

Pour retrouver une épave, la démarche la plus profitable, celle qui permet de circonscrire au mieux la disparition du Soleil d'Orient, reste de celle de l'enquête policière, libre de tout préjugé et prête à envisager toute piste que la moindre raison pourrait nous inciter à suivre.

Nécessité pour Colbert de fonder la Compagnie des Indes Orientales

Colbert, conseiller, le surintendant et le Ministre de l’économie, des Finances, est aussi ministre de la Marine de Louis XIV. De lui, Louis XIV dira « Colbert était un homme en qui j’avais toute la confiance possible, parce que je savais qu’il avait beaucoup d’application, d’intelligence et de probité[3] ».Colbert souhaite fortement réaliser une implantation française en Asie. Une présence française aura pour conséquences des avantages commerciaux et territoriaux, et des relations diplomatiques sources d’expansion économique, politique et militaire, ainsi que de prestige.

Sur ces bases, Colbert fonde la Compagnie des Indes Orientales (CIO) par une déclaration en 45 articles (août 1664). Celle-ci succède à la Compagnie des Moluques, fondée par Richelieu en 1615, qui détenait déjà le monopole du commerce avec l’Asie. La CIO est une compagnie à chartes, statut alors courant pour des compagnies semblables, telles l'English Indian Company (EIC) et la Verenigde Oost-Indische Compagnie (VOC), dans plusieurs pays d’Europe. « Elle reçoit du pouvoir différents privilèges pour l’exercice du commerce vers des contrées lointaines et parfois inconnues, le monopole du commerce et de la navigation pour 50 années et la propriété de toutes terres, places et îles qu’elle pourrait conquérir sur ses ennemis ou parce que vacantes ou inoccupées par des barbares. Elle lui permettait d’envoyer des ambassadeurs au nom du roi près des potentats des Indes, de traiter avec eux de la paix, de la guerre ou même déclarer la guerre [4]». Un des principaux privilèges de ces compagnies est le monopole des échanges commerciaux. Colbert est bien conscient que le commerce ne pourra se développer qu’avec la mise à disposition d’un capital important, un monopole commercial, l’appui matériel de l’Etat et des défenses militaires. Or, à cette époque, la France, si elle a pour alliée l’Angleterre républicaine de Cromwell, est en guerre contre le reste de l’Europe. Par ailleurs, elle rivalise commercialement avec l'Angleterre outre-mer. Sans défenses militaires déployées dans ses comptoirs, il lui est difficile d’affirmer sa puissance ultramarine.

C’est pourquoi la CIO n’atteindra pas le niveau de prospérité des compagnies à charte étrangères. Les puissances européennes détentrices de comptoirs ou de concessions en Asie (Portugal, Pays-Bas, Angleterre, Espagne, Danemark) ne voient pas toujours d’un bon œil la présence de la France en Asie du Sud-Est et sur le subcontinent indien, et tentent de contrarier son installation dans cette région du monde.

Colbert  répond à ce désagrément par une attitude de de mercantiliste éclairé. Il expose, en 1666, son système à Terron et à Seuil dans les termes suivants : « il est nécessaire d’observer soigneusement, pour les achats à faire des marchandises, qu’il faut toujours acheter en France, préférablement aux pays étrangers, quand même les marchandises seraient un peu moins bonnes et un peu plus chères, parce que, l’argent ne sortant pas du Royaume, c’est un double avantage à l’Etat en ce que, demeurant, il ne s’appauvrit point, et les sujets du roi gagnent leur vie et excitent leur industrie [5]» .

                                                                                 Indes orientales et Indes occidentales

Le rayon d'action de la compagnie des Indes Orientales s’étend à l’est de la côte orientale de l’Afrique. Elle inclut notamment Madagascar, l’Ile Bourbon (La Réunion), les îles Mascareignes, l’Inde et pousse même jusqu’au comptoir français de Canton, en Chine.

Colbert fait faire l’inventaire des vaisseaux et de leur usage ordinaire ou potentiel. A la suite de cet inventaire, lors de la première séance du Conseil de Commerce, Colbert peut déclarer que « la France n’avait pas, présentement, 200 vaisseaux raisonnables dans leurs ports, alors que les Hollandais en avaient 16.000 [6]» en 1658 !

De l'exiguïté du Port-Louis à la naissance de Lorient

Il importe, pour Colbert, de trouver un site protégé et assez vaste sur lequel seront construits les bateaux. Des commissaires parcourent les côtes de Dunkerque à Marseille, afin de désigner le chantier qui accueillera la construction navale de la CIO. Celle-ci est créée au Havre en 1664, mais pour des raisons de sécurité, Colbert la déplace sur la rade du Port-Louis (Morbihan), nom donné au port de Blavet en l'honneur de Louis XIII. Cet endroit est protégé naturellement par l’île de Groix et par la citadelle de Vauban. Mais le Port-Louis est trop exigu pour la construction simultanée de plusieurs vaisseaux de la CIO. Aussi, un chantier naval est installé dans une zone de friche plus étendue nommée Le Faouëdic, située en amont de Port-Louis, et plutôt à l'abri des vents grâce à son emplacement derrière l'île de Groix.


                                                            La Citadelle de Port-Louis            

On pourrait croire que l'installation de la CIO dans ces terres désignées "vaines et vagues"[7] par l'ordonnance royale de juin 1666 serait facile. Il n'en fut rien. Elles n'étaient ni vaines, ni vagues puisqu'elles appartenaient à environ 300 propriétaires. "Après de longues tergiversations, Denis Langlois, l'un des directeurs de la CIO, entre, le 31 août 1666, en possession de la baie de Roshellec et verse une indemnité aux propriétaires dépossédés".

C’est alors que la CIO peut développer sur ce terrain son premier chantier de construction. « Au départ, on ne compte que quelques hangars et ateliers, ainsi que des cabanes pour loger les ouvriers. Mais très vite, le site prend de l’importance : on construit des bâtiments en dur, des magasins pour recevoir les marchandises, des logements pour le personnel et les équipages. Un nouveau quartier voit le jour : le parc, où vivent les notables et le directeur de la Compagnie en personne[8]. » Les premiers navires à y être construits sont deux frégates et un vaisseau, le Soleil d’Orient. Les habitants, qui prennent l’habitude d’aller voir l’avancement de la construction du Soleil d’Orient, disent, par simplification, se rendre à L’Orient. Ils donneront ainsi, sans le vouloir, un nom à cette ville nouvelle : Lorient.

Le premier vaisseau à y être construit est le Soleil d’Orient.

En 1666, soit deux ans seulement après la fondation de la Compagnie des Indes orientales française, un décret du Roi crée la ville de Lorient. Ses armoiries seront fixées en 1744. On peut y voir un soleil. Celui-ci symbolise le Soleil d’Orient.

La construction du Soleil d’Orient et des autres navires de la CIO à Lorient[9] eut un retentissement considérable sur le développement démographique, stratégique et portuaire de la ville. Dénommée « la ville aux cinq ports » (militaire, pèche, plaisance, commerce et touristique) et aujourd’hui 1er port de pêche français en valeur et 2è en tonnage derrière Boulogne, Lorient est également le 1er port de commerce breton et fut la plus importante base sous-marine construite par les Allemands au cours de la Seconde Guerre mondiale.

Pour la construction du Soleil d'Orient, Louis XIV a accordé sa confiance à un Hollandais dénommé Looman[10].
 


 

[1] La Marine de Colbert : études d’organisation », par Bernard Lutun, Economica et CFHM, p. 139

[2] Ibid, p.137

[3] Michel Bergé Franceschi, Colbert, Biographie Payot

[4] Amiral Lepotier, Lorient, Porte des Indes, p. 45

[5] Mémoire de Colbert pour Terron et Seuil du 3 juin 1666

[6] Amiral Lepotier, Lorient, porte des Indes, Editions France-Empire, pp. 42-43

[7] Jean-Yves Le Lan, Les premiers chantiers de construction navale du Scorff : la vie des matelots de la Compagnie des Indes

[8] Evelyne Brisou-Pellen, ibid, p. 217

[9] Lorient devient une ville aussi attrayante qu'active, qui compte déjà 20.000 habitants en 1750

[10] Voir
Le Soleil d’Orient voit sa construction par l’équipe du maître-charpentier hollandais Looman débuter en 1667. Il est armé en 1671 à Port-Louis et est commandé par le capitaine Labéda. Il est destiné au commerce avec les Indes et la Chine.

Démâté à 100 lieues du port, il se réfugie à La Rochelle pour se regréer. Armé le 16 mars 1673, il navigue sous les ordres du capitaine de Boispéan.

Le Soleil d’Orient dispose désormais d’un monopole du commerce, d’un droit de propriété des terres occupées, de justice souveraine, d’armement des navires, de commerce et de guerre, d’établissement de garnisons, de battre monnaie et même d’un droit d’esclavage. Les terres à exploiter sont les côtes d’Afrique, l’intérieur de la Mer Rouge, les côtes arabes, de Malabar, de Coromandel, du Bengale, la Chine et le Japon, puis les Mascareignes en remplacement de Madagascar.

Les fonds réunis permettent de couvrir les frais relatifs aux longs voyages vers l’Asie, l’entretien des comptoirs et les appointements des personnels


Looman : un personnage qui interpelle

Pourquoi avoir fait appel au maître-charpentier hollandais Looman ?

Voilà une curieuse idée a priori, car la France et les Pays-Bas sont alors en guerre. Certes, Louis XIV a l'habitude de faire construire ses bateaux à Amsterdam, car leur construction y coûte deux fois moins cher qu'en France[1], et Louis XIV a besoin d'argent pour financer ses guerres. Les bateaux français sont souvent retenus plusieurs mois, voire désarmés, avant de reprendre le large, après qu'ils se soient engagés à ne pas utiliser leurs armements dans le cadre de la guerre franco-néerlandaise. Tel fut le cas du Saint-Louis (1670).

Pour éviter ces écueils, Louis XIV, conscient du génie hollandais en matière de construction de bateaux et de maîtrise des techniques liées à la mer, décide de faire confiance à un maître-charpentier des Provinces-Unies dénommé Looman.

 Interrogations autour du maître-charpentier

Nous savons peu sur Looman. Colbert a-t-il eu écho de son génie et d'une brouille de Looman avec la Couronne hollandaise ? A-t-il conseillé à Louis XIV d'en profiter, en le faisant venir pour construire le bateau à L'Orient ? Une manière de contrôler le maître-charpentier était de faire venir Looman en France et de l'entourer de collaborateurs français.

A l'inverse, la candidature de Looman a pu être mandatée par le gouvernement des Pays-Bas, conscients eux aussi de son génie, afin de fragiliser la construction du Soleil d'Orient en créant des failles imperceptibles dans ce bateau si cher à Louis XIV, qui l'amèneraient à de graves défaillances en mer, l'obligeraient à de lourdes réparations et amenuiseraient la marge de manœuvre financière et militaire du roi de France face aux Pays-Bas.

Il est vraisemblable, cependant, que Colbert a tenu compte des observations de Richelieu portées du temps de la Compagnie des Moluques : il faut remédier aux « pertes et ruines arrivées dans les havres du Roi de quantité de navires de Sa Majesté bâtis en ce royaume pour servir à la guerre, qui, faute d’avoir été bien liés et bien construits, se sont perdus et ouverts de leur propre poids, sans naviguer, ou se sont ouverts à la mer, avec pertes d’hommes et de marchandises, parce que leur fabrique et liaison n’étaient point en guerre, ce qui a provoqué du manquement de science et pratique de ceux qui en ont fait la construction[2]. »

Il trouve une réponse à ce problème en proposant, dans son Règlement de la marine de 1631, l’appel à « deux maîtres-charpentiers, comme anglais et flamands, bien expérimentés en tels ouvrages, pour donner leurs avis et résoudre par ledit conseil de la façon dont lesdits navires devront être bâtis[3]. »


Un génie hollandais dans une marine française en quête de ses repères 

Ce n'était pas la première fois que la France faisait appel au savoir-faire hollandais[4].

Recruter un maître-charpentier pour la construction de cette pièce maîtresse de la marine française qu’est le Soleil d’Orient représentait cependant un gros risque, surtout en période de guerre contre les Pays-Bas. En effet, les tâches assignées à un maître-charpentier pour la construction et la solidité du bateau sont des tâches de confiance et autonomes. Le règlement du 16 septembre 1673, dans le Code des Armées navales, n’impose pas de plan-type pour un bateau.

« Les maîtres-charpentiers de ce temps doivent posséder au moins la pratique de leur métier[5] ; Terron juge que « ce ne sont que des paysans incapables de direction et de commandement[6]. »

« Les maîtres-charpentiers et les maîtres d’autres professions ouvrières constituent dès cette époque une sorte de hiérarchie parallèle sous l’intendant, sur le plan technique, tout au moins [7]».

Par conséquent, le contrôle du maître-charpentier n’est pas clairement établi : « le maître-voilier a son mot à dire lors des carénages. Le premier maître-charpentier donne son avis sur le travail une fois celui-ci terminé, le maître-califat le surveille, mais qui l’a dirigé ? On peut imaginer qu’un maître-charpentier a été é désigné par le capitaine et le premier de maître-charpentier, qui lui ont fourni les ouvriers nécessaires[8] ».

« Le maître-charpentier trace alors en vraie grandeur, dans la salle de traçage, les couples, en commençant par le maître-couple et la quille, puis l’étrave et l’étambot »[9]. « Les maîtres tendent à considérer leur collection de gabarits et leur savoir-faire comme une propriété privée et comme autant de secrets [10]». « Pendant longtemps, on a travaillé sans plan, et c’est un usage contraire à celui de l’architecture civile [11]»

Le maître-charpentier chargé de construire un vaisseau « établit un modèle en bois et un plan en coupe perpendiculaire, avec une coupe horizontale, et ces modèles et plans seront mis en dépôt entre les mains du contrôleur pour y avoir recours lorsqu’on voudra bâtir de pareils [12]»

En recourant à un Hollandais, Colbert réduisait considérablement le délai de construction d’un navire: « je suis surpris que vous me mandiez que l’on ne peut faire bâtir que cinq vaisseaux en deux ans dans le port de Toulon. Il est certain que les Hollandais se moquent de nous de ce que l’on apporte tant de longueur dans nos constructions. Il ne tombe guère sous le sens qu’ayant tant de bons maîtres que vous en avez, vous n’ayez pu avoir jusqu’ici les charpentiers de hache nécessaires[13] ».

« Très considéré, le maître-charpentier est la « maître de la hache », de l’herminette, de la scie, de la tarière et de la bisaiguë…Tout dépend de lui en cas d’accident. Démâtage, vergues brisées ? Il dirige la manœuvre de mise à poste des espars de rechange…Si le bateau a heurté une épave ou un récif, il répare tout aussi bien bordés, membrures et vaigrages brisés ou en retaille au besoin. Il règne aussi sur la tonnellerie…l’eau potable, le vin ou le précieux tafia…Le charpentier est souvent un ancien matelot qui a pris goût au travail du bois et prouvé son habileté ou un fils de charpentier formé sur un chantier de construction navale[14] ».

Doit-on y voir une méfiance de la part de Colbert à l’égard de Looman, aucun navire ne sera construit à L’Orient[15] de 1675 à 1684. Dans cette période, 14 navires partirent aux Indes, mais 6 seulement du Port-Louis. Les autres furent armés à Brest, au Havre, à Saint Malô ou à Nantes[16].

  [1] E. Lavisse, Louis XIV, (rééd. 1978), I, 237

  [2] Règlement sur le fait de la Marine du 29 mars 1631, cité dans Bernard Lutun, ibid, p.182

  [3] Règlement sur le fait de la Marine du 29 mars 1631, cité dans Bernard Lutun, ibid, p.183

[4] Du XVIè au XVIIè siècle, le Marais Poitevin devint un territoire asséché reconquis sur la mer grâce aux Hollandais

[5] Bernard Lutun, ibid, p.209

  [6] R. Mémain, La Marine de guerre sous Louis XIV, pp 534-539

[7] Bernard Lutun, p. 210

[8] Bernard Lutun, ibid, p. 236

  [9] Patrick Villiers, Marine royale, corsaires et trafic dans l’Atlantique de Louis XIV à Louis XVI, Dunkerque, 1991, pp 44-45 et 109

[10] Bernard Lutun, ibid, p. 210

  [11] Jean Boudriot et Hubert Berti, La frégate étude historique (1650-1850), 1992, p. 32

[12] Ordonnance du 15 avril 1689, , 1.XIII, t.1, art. 4

  [13] lettre du 1er mars 1669 à d’Infreville 

  [14] Jean-Jacques Antie, A bord des grands voiliers, Ed. L’Ancre de Marine, pp 65-66

[15] Les orthographes L’Orient et Lorient alterneront souvent, jusqu’à ce que l’orthographe Lorient ne l’emporte définitivement vers 1830

[16] Amiral Lepotier, ibid


La triste fin du Soleil d’Orient pourrait bien avoir pour cause essentielle des négligences à son égard, notamment lors de ses phases d’entretien.

De la rétention au port à la dégradation du Soleil d’Orient


Le Soleil d’Orient a eu une carrière bridée par de longues et fréquentes rétentions dans les ports ou par des haltes répétées dues à des incidents. Ce destin haché retint l’élan des marins du plus grand bateau de la marine française et tempéra leur enthousiasme pour la mer.

Après sa première sortie du port de Lorient, le Soleil d’Orient est pris dans une tempête et démâte à 100 lieues de La Rochelle. Il se réfugie au port pour des réparations.

Il restera, à quelques cabotages près, deux ans dans le port charentais, pour n’en sortir que le 12 mars 1672, sous les ordres du Capitaine de Boispéan. Le règlement veut alors que lorsqu'un bateau est à quai, le marin ne touche qu’une demi-solde et n’a guère le cœur à entretenir le bateau. Pressé de reprendre la mer au début, il finit par se lasser de ces attentes prolongées et s’oriente vers d’autres activités, goûte à la vie du port et s’y attache. On comprend un peu mieux, dans ces conditions, comment Colbert éprouva autant de difficultés à recruter un nombre de marins suffisant.

A rester retenu au port aussi longtemps, le Soleil d’Orient a probablement souffert d’un manque d’entretien et de la fréquentation de ses 300 matelots. La mer n’était pas là pour nettoyer le bateau et l’empêcher de moisir.

Et puis, en ville, il y a bien plus de 300 personnes, et on ne trouve pas parmi elles que des personnes bienveillantes à l’égard du Soleil d’Orient.
Les enfants de marins disparus étaient autorisés à suivre une formation gratuite à l’école d’hydrographie dès l’âge de huit ans. « La vie du matelot, c’est le destin du Breton [1] ». Le premier traité d’hydrographie, écrit par le Père Georges Fournier (1595-1652), servait de référence[2]. A la suite de cette formation, ils étaient engagés comme volontaires pendant deux ans sur le bateau et ne percevaient pas d’émoluments pendant cette période.
Par ailleurs, le nombre important de marins engagés sur le Soleil d’Orient signifiait une grande fragmentation et une répétitivité significative des tâches qui ne pouvaient engendrer que lassitude et démotivation, et déboucher sur des querelles.

Ce manque d’enthousiasme des marins à servir sur le bateau a pu être à l’origine de négligences et d’un manque de zèle compromettants, tant pour la solidité du bateau que pour sa défense.

Qu’il s’agisse des attentes inexpliquées à Bantam et à Fort-Dauphin, d’une activité limitée à de petits cabotages au cours de sa réparation à La Rochelle ou de la tempête suivie de fièvre jaune et de paludisme au Mozambique, le cœur n’y était plus chez les marins du Soleil d’Orient qui y avaient perdu l’équipe qui l’entretenait et le guidait.

Au retour, une prescription de 1681 s’attaque au Soleil d’Orient: « le premier souci est d’ordre sanitaire, et la quarantaine est imposée aux navires provenant des zones infectées par une maladie contagieuse. Le capitaine doit se soumettre au rapport, mode de preuve en droit privé » et source d’information pour le Secrétaire d’Etat, à qui il est communiqué par extraits. Celle-ci peut être d’un grand secours en temps de guerre ou de tension internationale [3] ».

 Un équipage renouvelé


Si la quasi-totalité de l’équipage n’avait péri au Mozambique, il aurait accompagné l’Ambassade de Siam. Ses hommes étaient certainement fiers d’avoir été recrutés pour servir à bord du plus grand navire de la marine française, en vue d’accomplir ses missions en Orient. Ils auraient sans doute apporté beaucoup de soin à leur tâche et témoigner de l’empressement à amener en France les ambassadeurs de Siam et les cadeaux de Phra Naraï à destination de leur roi. Le deuxième équipage, qui prit la relève sous les ordres du capitaine De Boispéan à la suite de l’épisode du Mozambique et après que le Soleil d’Orient ait été réarmé à Lorient, était probablement dans dispositions différentes, ceci parce que ce n’était pas « son » bateau, mais « un » bateau, sur lequel l’obligation de servir et le détachement l’emportaient sur la joie et la fierté de servir. Aussi, pensons-nous que cette nouvelle attitude a pu être à l’origine de négligences gravement préjudiciables au Soleil d’Orient.

Le Soleil d’Orient connut des malheurs qui semblent relever de la malchance pure. Tout s’est passé comme si ce vaisseau, le premier construit pour la Compagnie des Indes orientales, devait payer de sa vie et de celle de ces matelots, afin que les bateaux suivants de la Compagnie naviguent en toute sérénité, et que les phénomènes naturels soient enfin rassasiés de leur appétit sur cette compagnie qui, il faut l’avouer, ne demandait, tout comme ses semblables que furent VOC et l’EIC, qu’à vivre, prospérer et briller. Ainsi, fut-il désarmé deux fois, en 1677 et 1678, en raison du blocus du Port-Louis par les Hollandais. Il put partir en 1679. Mais, arrivé aux Indes, il y reste jusqu’en 1681, année de sa disparition.

Au total, de sa naissance à sa disparition, le Soleil d’Orient a beaucoup souffert : de tempêtes, d’une surcharge en hommes et en matériel, de ses longues attentes pour réparation dans certains ports et de la perte de ses premiers serviteurs.

 La négligence, cause fondamentale de la perte du Soleil d’Orient

En concordance avec les observations de Richelieu (note 14), il est possible que le Soleil d’Orient se soit ouvert et ait sombré rapidement. De nombreux témoignages confirment sa rapide disparition. Cependant, malgré les recherches entreprises par des équipes de plongée française et malgache depuis 1997, on n’a toujours pas retrouvé trace du Soleil d’Orient dans les abysses de l’Océan indien.

Avec un meilleur entretien, le Soleil d’Orient eût connu un autre destin. Il serait en effet reparti de Bantam et de Fort-Dauphin à des dates favorables, qui lui permettaient d’éviter de forts courants marins contraires, de faire face à des tourbillons moins violents et d’arriver en France dans de bonnes conditions. Cette arrivée aurait scellé une alliance entre la France et le Siam se traduisant par une pénétration en Orient. Elle aurait signifié pour la France un destin certainement différent, bien que déjà fort honorable, de celui qu’elle connut après la disparition du Soleil d’Orient


[1] Evelyne Brissou-Pelen, ibid

[2] Amiral Lepotier, ibid

[3] Bernard Lutun, ibid, p. 71



Nous l’avons dit, le Soleil d’Orient peut avoir été capturé, naufragé ou détourné. Cela revient à distinguer des causes humaines et des causes naturelles à sa disparition. Nous considérerons également les réactions en France alors que sa disparition se faisait de plus en plus probable.

Les hypothèses liées à des causes humaines

                                           Le Soleil d’Orient détourné ?

A y regarder de plus près, les biens transportés, à eux seuls, rendaient haut le risque de détournement.

En effet,  « Les vingt mandarins de l’ambassade de Siam et la montagne de présents qu’ils apportaient pour le roi, c’était encombré de partout. Des meubles d’une richesse incroyable, des coffrets constellés de pierreries, des trésors venant des pagodes, des lettres d’amitié écrites sur feuille d’or. Et puis les étoffes de coton, la soie, l’argent, les pierres précieuses, les épices…pour huit cent mille livres de marchandises[1] ! » Mais de quelle forme de détournement aurait-il pu s’agir ?

Nous sommes conduits à envisager un détournement du Soleil d’Orient vers d’autres terres, d’une part, une arrivée en France sous silence suivie d’un maquillage du bateau, d’autre part.

                                                                                             Détournement vers des terres tropicales

Un détournement s’envisagerait en direction de la Chine, du Vietnam, de l’Inde, ou dans une île de l’Océan indien pour des raisons différentes, mais probablement pas à bord du Soleil d’Orient qui, à en croire certains témoignages, prenait l’eau, sauf à rester à quai sur ce bateau et à y épouser un style de vie sédentaire qui frustrerait plus d’un marin, s’il n’était pas français[4]. Il convient d’écouler la marchandise, de la monnayer, afin de se construire une nouvelle vie pour le restant de ses jours. Certes, l’épouse et les enfants restés en France sont « sacrifiés », mais serait-ce vraiment un profit que de rentrer au pays avec un petit bénéfice et une bouche supplémentaire, en l’occurrence celle du marin, à nourrir ?

Sur ces considérations, les marins auraient pu partir en Chine. Ce pays est intéressant pour eux, car la France possède des comptoirs à Canton et la plupart des cadeaux du roi de Siam sont des articles chinois, par conséquent facilement négociables. Ils auraient tout autant de chance au Vietnam, pays séculairement d’influence chinoise.

En Inde, la situation eût été plus délicate. En effet, l’information de l’installation du Soleil d’Orient, en raison de la présence de la France à plusieurs comptoirs, se serait propagée rapidement et serait parvenue assez rapidement aux oreilles de la CIO. Ce qui est moins certain, c’est la réaction de la Compagnie à cette information. On est tenté d’imaginer la Compagnie fondée par Colbert comme une personne morale au service de Louis XIV : le roi commande la fabrication de vaisseaux, alloue des terrains pour leur construction, donnant l’impression de s’ériger en maître et contrôleur de la CIO, et que par conséquent celle-ci aurait vu l’arrivée sur ses côtes avec un grand déplaisir, car telle n’était pas sa destination, et aurait fait rapatrier le bateau en France, au nom du Roi. Penser ainsi serait oublier que la CIO possède son propre règlement, ses propres vaisseaux, et qu’elle fonctionne avec une grande autonomie. Les gouverneurs des comptoirs tendent à penser comme des Français d’outre-mer et avec un décalage sensible avec les métropolitains. A partir de là, l’arrivée en Inde du Soleil d’Orient aurait pu être bien accueillie, ce bon accueil étant doublement amplifié : d’abord par l’obligation de faire bon accueil à une ambassade étrangère, ensuite à la vue du trésor transporté.

Par ailleurs, si un édit d’août 1669 interdit aux sujets du roi de France de s’installer à l’étranger sans son autorisation en invoquant les obligations dues au souverain et à la patrie, et si les marins, en vertu de l’ordonnance royale du 2 octobre 1669 et de l’ordonnance pour la Bretagne du 4 septembre 1669[5], risquent la peine de mort s’ils émigrent, il semble que « la belle vie » dans les îles, n’aurait-elle été que provisoire, ait constitué un motif suffisant pour fuir des lois trop oppressantes[6], notamment en matières de devoirs et d’impôts, et une vie misérable du royaume de France. La répression de la désertion est du ressort de l’Amirauté depuis 1584. Elle ne passera entièrement aux officiers des Classes qu’en 1752-1753[7].
L’hypothèse du retour sous silence en France.

Nous avons envisagé ici les détournements du navire vers l’Orient. Mais il semble plausible que le navire soit rentré en France, mutiné ou sous le sceau du secret, puis qu’il ait été désarmé définitivement. Louis XIV aurait alors pu revendre ce trésor, afin de financer ses guerres et la construction du château de Versailles et de ses annexes, dont Marly, car il avait à ce moment-là trop besoin d’argent pour ses projets et surtout pour faire face à des situations d’urgence. Ses caisses étaient quasiment vides. Une telle hypothèse cadre mal, semble-t-il, avec le chagrin que ressentit. Louis XIV lorsque la nouvelle de la disparition du Soleil d’Orient lui parvint Ce chagrin est-il lé au fleuron de la marine qu’était le Soleil d’Orient, aux marins disparus, à l’Ambassade de Siam envoyée par Phra Naraï, ou au trésor disparu ? Vraisemblablement à ces quatre facteurs, à des degrés restant à déterminer. Louis XIV ne fut informé de ce désastre qu’en 1683, soit deux ans après le départ de l’Ambassade de siam pour la France depuis Bantam à bord du Soleil d’Orient. Se peut-il que le chagrin ressenti par Louis XIV au sujet de la disparition du Soleil d’Orient soit en fait un remords d’avoir revendu les cadeaux du roi de Siam « son très cher ami » ?

                                                                                   Une mutinerie à bord du galion est-elle envisageable ?

Le détournement peut avoir été consenti par l’ensemble de l’équipage ou avoir eu lieu à la suite d’une mutinerie. Cette hypothèse, qui évoque au départ celle du Bounty, est concevable, dans la mesure où le capitaine aurait tenu à obéir aux ordres, ramenant cadeaux et Ambassade de Siam en France et où il aurait dû faire face à la tentation de son équipage de partager ce butin, estimé, rappelons-le, à 15 millions d'euros. Les marins auraient désiré s'offrir une vie qu'ils ne pouvaient pas avoir en France. C'était l'occasion ou jamais de fuir une vie accablée d'impôts, d'années de disette et de dur labeur. La fièvre de l’or s’était emparée des hommes lors de la ruée des hommes au Klondike, dans l’actuel Yukon canadien, « tels cette flopée de prospecteurs avec des pépites à la place des yeux[2] ». Cette fièvre conduisait les hommes vers un trésor lointain. Dès lors, si cette fièvre de l’or peut s’emparer des hommes pour un trésor lointain, on imagine à quel point la tentation d’accaparement pourrait guider ces marins vers un trésor estimé à 15 millions d’euros situé à leurs pieds plusieurs mois durant, et être la source de convoitises, de rivalités, de jalousies et dégénérer en combats sur le bateau si son capitaine n’a plus, en cette circonstance particulière, assez d’ascendant sur ses hommes pour faire régner l’ordre.
A partir de là, a pu éclater sur le Soleil d’Orient une mutinerie qui aurait tourné au massacre et aurait empêché le bateau d’arriver en France. Il en avait fallu bien moins qu’un trésor pour que la mutinerie se déclenche sur le Royal[3].Cette mutinerie s’était déclenchée lieu parce que le commandant Jacques Pronis, à la tête de ce vaisseau de 400 tonneaux, avait détourné une grande partie de la nourriture au profit de sa belle-famille malgache, qui s’était invitée sur le bateau.

                                                                                  Naufrage d’un commun accord ? 

On peut également envisager l’hypothèse d’une entente entre l’équipage et le commandement du navire pour le détourner, afin d’offrir à tous ses marins l’occasion unique de fuir leur vie étouffante à merci décrite plus haut. Ici, les paroles de Charles Aznavour « Emmenez-moi au bout de la terre, emmenez-moi au pays des merveilles, il semble que la misère serait moins pénible au soleil ! » résonnent en cette circonstance d’une façon toute particulière dans nos esprits. Notre cher Charles ne fut sans doute pas le premier à penser de la sorte. D’ailleurs, il se peut que l’équipage du Soleil d’Orient ait eu vent de l’épisode de l’exil sur une ile des huit principaux responsables de la mutinerie sur le Royal. Ils y furent déportés sans aucune ressource. Deux ans plus tard, à l’occasion du rappel en France du capitaine Jacques Pronis, remplacé par Etienne de Flacourt, le ? revient chercher les douze mutins sans grand espoir. Or, tous sont vivants. Ils sont trouvés en excellente santé, disent ne manquer de rien sur l’île et souhaiteraient même y rester. Chose exceptionnelle pour des Français, ils ont connu pendant deux ans la vie d’une « société d’abondance ». Serait-ce cette vie que recherchent les hommes du Soleil d’Orient ?

                                                                              Le naufrage du Soleil d’Orient semble acquis à Louis XIV dès mars 1682, soit quatre mois seulement après sa disparition et neuf mois après son départ de Bantam. Dans « l’Ordre du Roy d’accompagner en France l’Ambassade du Roy de Siam[8] », le Marquis de Seignelay, fils de Colbert, « leur répondit qu’il [Le roi] avait appris avec douleur le naufrage des ambassadeurs de Siam, que le Roi-même en aurait témoigné beaucoup de déplaisir, qu’il ne manquerait pas de lui faire savoir les sentiments du Roi de Siam que sa Majesté en croit déjà si persuadée, qu’elle aurait résolu de lui envoyer une ambassade pour lui marquer combien son amitié lui était chère, et pour l’exhorter puissamment à embrasser la religion du vrai Dieu comme le moyen le plus sûr d’établir entre eux une amitié solide qui les unirait et les rendrait heureux en ce monde et en l’autre… ». Phra Narai lui répond : « Prince le Roi, Monseigneur…nous avons appris que le vaisseau qui portait cette royale ambassade n’était point encore arrivé en France, ce qui nous a causé une grande tristesse, j’allai d’abord me prosterner aux pieds du trône du Roi Monseigneur pour lui en apporter la nouvelle, sa royale majesté daigna m’honorer de cette réponse. La royale amitié qui unit le grand roi de France avec ce royaume demeurera ferme et inébranlable, qu’on envoie savoir des nouvelles du succès de cette ambassade. Ayant reçu ces royales paroles sur le sommet de ma tête, j’envoie présentement Oquun Pit Chai Valid et Quun Pitchitra Maïtri avec les pères Vachet et Pascot pour en apprendre. Je les ai chargés de quelques petits présents, qui nous seront un gage de l’estime particulière que j’ai pour vous et du soin que j’ai, qu’à l’exemple de nos deux grands monarques, nous nous unissions en une très solide et durable amitié, je vous prie en cette instance de nous mander ce qui sera arrivé aux ambassadeurs du Roi Monseigneur, afin que, selon les nouvelles que nous recevrons, nous puissions songer à ce qu’il sera convenable de faire pour la confirmation et augmentation de l’amitié entre nos deux grands princes et pour la rendre durable à jamais. Je laisse à votre prudence de juger[9]… »

                                                          Le navire pourrait avoir réalisé une grande vente, comme il le fit plusieurs années auparavant à La Rochelle, dans un port français, sous une autre identité. Cela est possible, mais paraît peu probable, eu égard à l’accablement d’impôts à cette époque et au trop grand risque de convoitises suscité par l’achat de richesses, même bien dissimulées. Toujours est-il que, « de son propre aveu, Louis XIV reconnait ne pas avoir mesuré, pendant les quinze premières années de son règne, ce que représentait une politique navale sur le plan financier comme sur le plan logistique[10] ».

                                                              Le Soleil d’Orient attaqué par des pirates

Si l’hypothèse d’un Soleil d’Orient détourné est relativement probable, elle se heurte à certains témoignages, dont celui d’un capitaine anglais aux Indes qui aurait vu le Soleil d’Orient attaqué par des pirates sombrer corps et biens. Ce témoin pourrait-il avoir été l’auteur de cet acte de piraterie ? En outre, certains écrits citent le Soleil d’Orient abordé par des « pirates hollandais ».

Dans cette région du monde où transitent de nombreux navires de commerce et où la tentation d’accaparement des richesses, l’hypothèse de l’attaque du Soleil d’Orient par des pirates n’est pas à éluder. On a pu le vérifier encore récemment lors des attaques de pirates au large de Djibouti. Cependant, quelque chose mérite d’être éclairci dans cette hypothèse des pirates : comment un navire doté de 60 canons et de 300 hommes a-t-il pu être abordé aussi facilement ? L’attaque aurait pu avoir lieu par surprise la nuit, comme ce fut le cas à Aboukir en 1798, mais il y a toujours un vigile pour donner l’alerte, et cette vigilance était probablement renforcée avec le transport de l’Ambassade de Siam. Par ailleurs, le Soleil d’Orient, contrairement à la flotte française à Aboukir, n’était pas en rade. Il possédait donc une marge de manœuvre plus importante. Pour qu’il soit abordé aussi facilement, l’assaut aurait dû être donné par au moins deux vaisseaux pirates importants situés de part et d’autre du Soleil d’Orient. Or, un capitaine anglais aux Indes signale avoir vu le Soleil d’Orient abordé par des pirates, puis couler peu après. Un autre témoignage signale une attaque du Soleil d’Orient par des « pirates hollandais ». L’hypothèse de l’attaque par des pirates reste cependant à retenir.

Comme les précédentes, elle trouve ses limites dans une question : pourquoi les pirates auraient-ils eu besoin de faire couler le bateau, surtout en y faisant sombrer tout ou partie du butin ? S’ils ont pu enlever une part significative et satisfaisante de celui-ci en une nuit, le naufrage semble plutôt être le fruit d’un sabordage par l’équipage, afin de ne pas livrer le trésor, plutôt qu’un geste inutile des pirates, déjà rassasiés de leur prise. L’attaque du Soleil d’Orient, qui n’était pas escorté, par des pirates, est plausible. Cependant, en raison des questions qu’elle suscite, elle nous invite à un approfondissement sur la période de la rétention du bateau pendant deux mois à Fort-Dauphin, et nous amène à nous demander si le naufrage du Soleil d’Orient n’était pas…un faux naufrage !

                                                                                 Un faux naufrage ?

Des indices convergents nous conduisent à formuler cette proposition. Il a été établi, au départ de Bantam, e aux dires d’un dénommé Croizier, fils d’un marchand de Morlaix qui était venu aux Indes, un Soleil d’Orient « très abimé et faisant l’eau [11]». Ses deux mois d’escales à Fort-Dauphin pourraient avoir été justifiés par une réparation et par la nécessité de se débarrasser des deux éléphants qu’il fallait nourrir et qui avaient peut-être déjà endommagé le bateau, la mer avec ses caprices et le cadre étriqué au quotidien ne correspondant pas à leur environnement naturel. Dans un accès de peur ou de fureur, ils auraient pu démâter le bateau, le laissant ainsi à la merci du vent, des courants marins et à l'échouage sur une côte. D’où la nécessité de les échanger à Fort-Dauphin et de réparer le bateau.

On peut légitimement se demander pourquoi ce cadeau de deux éléphanteaux pour un voyage de six mois en mer, privés de leur milieu naturel pendant cette longue période, ceci en toute connaissance de cause de la part de Phra Naraï et de Phaulkon ?

Il convient ici de dire quelques mots à propos des éléphants. Ces éléphants n’étaient pas des « éléphants en or massif carapaçonnés de pierres précieuses [12]», mais un couple d’éléphants bien vivants recouverts « d’un harnais écarlate de quatre doigts de large, garni de clous d’argent et, sur le dos, d’une chaise dorée couverte d’un dôme soutenu par quatre colonnes. Le tout bien doré, orné de tapis, de coussins de brocart d’or[13]… ». On retrouve d’ailleurs des dessins montrant des diplomates français à dos d’éléphant effectuant là leur promenade quotidienne en compagnie du Roi de Siam. Il est attesté par ailleurs que la nourriture avait été montée à bord pour ces deux animaux.

A cause de l’état poreux du bateau, l'équipage, d'un commun accord, peut avoir décidé de décharger les marchandises à Fort-Dauphin, après quoi elles auraient été revendues ou auraient servi à monnayer des services sur place, dans le cadre d’un établissement des marins pour une nouvelle vie, tant il leur « semble que la misère serait moins pénible au soleil »[14]

Nous avons déjà parlé des raisons qui auraient pu inciter les marins à ne pas rejoindre la France. Après le déchargement du matériel, armement compris, et la descente de l’équipage, le bateau aurait pu faire l’objet d’un sabotage : desserrement des boulons et percée de la coque, afin qu’il sombre le plus vite possible, une fois l’ancre levée, avec éventuellement quelques personnes à son bord, mais pas plus que de chaloupes, afin de faire croire à un vrai départ. Il s’agirait donc d’un naufrage organisé, c'est-à-dire d’un faux naufrage, tout naufrage digne de ce nom ayant lieu contre la volonté de l’équipage du bateau. Voilà qui expliquerait pourquoi le naufrage du Soleil d’Orient ne figure pas au nombre des naufrages les plus célèbres dans le livre d’Erick Surcouf[15], Naufrages célèbres (1558-1845).

Une variante de cette version aurait consisté à laisser le bateau partir vide et sans aucun canon. Les pirates, furieux de ne rien trouver à bord du bateau-fantôme, auraient alors tiré sur lui à boulets rouges pour évacuer leur colère, et l’auraient fait sombrer rapidement.

Il est possible que l’équipage du Soleil d’Orient ait refusé, en ces circonstances, la procédure de renflouement du navire. Celle-ci impose un récit détaillé sur les circonstances de l’accident de la part du capitaine et de quelques matelots. Puis, « si le navire ne peut être renfloué, l’épave, son équipement, les marchandises périssables ou endommagées sont vendues aux enchères, et les deniers provenant de la vente sont consignés au greffe. Passé le délai d’un an et un jour, les effets non réclamés ou vendus sont partagés par tiers entre le Roi, l’Amiral et ceux qui les ont sauvés…L’Amirauté vérifie l’inventaire des objets trouvés au fond de la mer, les vend, perçoit le Doit de l’Amiral sur leur produit et juge toute contestation née du renflouement[16] » Voilà qui tendrait à conforter la version du retour en France sous silence, afin d’alimenter les caisses de l’Etat à des fins militaires. Le capitaine connaissant le règlement, aurait-il anticipé et décidé de faire couler le navire dans une zone marine dont les turbulences rendaient les recherches impossibles ?

Dernier facteur humain ayant pu causer la disparition du Soleil d’Orient semble être les Hollandais.

                                                                                            Les Hollandais, couleurs de bateaux français ?

A l’époque où le Soleil d’Orient arpentait les mers de l’Océan indien, la France et les Pays-Bas étaient en guerre. Vexation suprême pour les Provinces-Unies, Louis XIV avait porté la guerre sur leurs terres, et les Pays-Bas étaient décidés à réagir très vivement à cette ingérence. Or, il se trouve qu’au moins trois bateaux français firent naufrage à des périodes diverses et en des lieux différents, mais toujours à proximité des « eaux territoriales » hollandaises : il s’agit du Saint-Louis, qui coula au large de Texel, en Mer du Nord[17], de La Maréchale, qui sombra au Cap de Bonne-Espérance, et du Soleil d’Orient, qui disparut entre Madagascar et le Cap de Bonne-Espérance.
A-t-il été donné ordre aux militaires hollandais de tirer sur les bateaux français se trouvant dans leurs eaux territoriales, afin de les faire couler ?

                                                                                           La nécessité pour les Hollandais de mettre la main sur le Soleil d’Orient

En effet, les Pays-Bas avaient tout intérêt à empêcher le Soleil d’Orient avec, nous le rappelons, l’Ambassade de Siam à son bord, d’arriver en France. Son arrivée aurait signé une alliance entre le Siam et la France, et l’envoi massif de troupes françaises qui auraient délogé les Hollandais de leurs bases en Asie, tout comme elle a contribué, par l’envoi de 30.000 hommes d’appui lors de la guerre d’indépendance américaine, à faire plier les Anglais, tant sur terre que sur mer (victoires de Yorktown et de Chesapeake). Si Louis XIV avait porté la guerre aux Pays-Bas, il pouvait faire de même dans les colonies hollandaises. Cela, les Hollandais le redoutaient trop et n’étaient pas prêts à l’accepter.

                                                                                             Capturé ou coulé ?

Soit les Hollandais envoyaient le Soleil d’Orient par le fond en se privant des cadeaux du Roi de Siam, soit ils le capturaient et se rendaient maîtres de ses richesses et pouvaient même retourner la situation diplomatique à leur avantage. Il eût donc été préférable pour eux de capturer le Soleil d’Orient. Encore devaient-ils, pour y œuvrer, avoir eu vent de ce que transportait le plus grand vaisseau de la marine française. Libre à aux, ensuite, de le rebaptiser et de lui faire battre pavillon hollandais.

Nous venons d’examiner les causes liées à l’’intervention humaine. Le Soleil d’Orient pourrait tout autant avoir été victime des éléments naturels que sont la tempête et les courants marins.

Le Soleil d’Orient et les éléments naturels

                                                                                       La fragilité du Soleil d’Orient

Le Soleil d’Orient avait fait la preuve de sa fragilité dès le premier jour. Peu après avoir quitté Lorient, ses voiles se déchirèrent suite à une tempête. Démâté, il dut se réfugier à La Rochelle, où il resta plus de deux ans. Rentré à Lorient, il fut réarmé et fit un voyage sans problème jusqu’en Inde, d’où il rapporta notamment des toiles blanches et de couleur, des mouchoirs, du poivre, des soieries, des broderies, des mousselines[18], etc. Au retour, une nouvelle tempête le surprit dans le canal du Mozambique. Il fut contraint de demander l’hospitalité aux Portugais, colons du Mozambique, et de fournir, en échange de leurs services, une partie des marchandises ramenées de Surate. Mal en prit à l’équipage de débarquer et de se mettre au contact de la population locale, car une grande partie fut décimée par des maladies tropicales. Seuls sept d’entre eux y survécurent et purent rentrer en France sur le Soleil d’Orient, escortés par le Blampignon, navire de 500 tonneaux dirigé par le capitaine Cornuel, qui avait quitté le Port-Louis le 13 février 1674 « avec un équipage exceptionnellement nombreux de 250 hommes pour la Côte de Mozambique, afin d’y secourir le Soleil d’Orient qu’il savait en détresse, puis, de là, passer aux Indes[19] ». Arrivés en France, la vente des marchandises achetées à Surate remporta un vif succès à La Rochelle.

                                                                                     La tempête

Plusieurs navires français sombrèrent dans la tempête dans le Canal du Mozambique. Ce fut notamment le cas du Saint-Louis, dont son capitaine mourut de chagrin quelques jours après n’avoir pu que regarder impuissant son bateau se fracasser contre les rochers et être réduit en mille morceaux lors d’une tempête.

Nous avons trouvé le récit suivant, et nous ne savons pas encore s’il s’agit d’une fiction et d’un témoignage. Il conforte la thèse du naufrage du Soleil d’Orient à cause d’une tempête : « Ils repartirent de l’Ile Bourbon. Un violent ouragan s’abattit sur le Soleil d’Orient. Le lendemain, le Soleil d’Orient avait coulé. L’équipage eut juste le temps d’embarquer sur des chaloupes de sauvetage. Ils furent sauvés, mais d’innombrables trésors dans les cales furent engloutis dans la mer. Ils rejoignirent Madagascar, d’où ils embarquèrent sur le Royal Philippe, qui retournait à Lorient[20] »
La forme du Soleil d'Orient et la tempête.

La forme du Soleil d'Orient se prêtait-elle vraiment à affronter les tempêtes ? On observera en effet que les thoniers, qui avaient l'habitude de franchir le cap de Bonne-Espérance et le Détroit de Magellan, possédaient une forme allongée qui leur conférait de la vitesse, donc de la stabilité. La forme du Soleil d'Orient, moins allongée à cause de son tonnage, même si « le règlement de 1673 tend à diminuer la largeur des bateaux à l’exemple de l’Angleterre »[21], l'exposait à affronter la tempête plus longtemps, donc le fragilisait. Reste à savoir si cette forme relève de normes définies pour un bateau de ce gabarit ou si Looman l’avait conçue pour déstabiliser le bateau, ce qui relèverait du sabotage subtil. Nous pouvons en effet observer que les bateaux hollandais, qu’il connaissait très bien, avaient une forme différente, comme en atteste cette description comparative d’époque des bateaux français et hollandais (voir p.27).

                                                                                    Les tourbillons marins

Il existe, dans le Canal du Mozambique et autour de Madagascar, des tourbillons océaniques liés à des cyclones de 20-25 km de diamètre qui engendrent de fortes rafales de vent pouvant atteindre jusqu’à 300 km/h. « A Madagascar, les cyclones pénètrent en général dans les terres par la côte ouest ou dans la partie nord-ouest de l'île. Ils se dirigent ensuite vers le sud pour rejoindre le canal de Mozambique. Cet itinéraire est cependant loin d'être immuable puisque, quelquefois, le cyclone s'intensifie de nouveau en mer avant de retourner dans les terres par la côte sud-est. De tels scénarios sont catastrophiques puisque le cyclone redouble d'intensité après le contact avec la haute mer. La saison cyclonique se situe entre le 15 novembre et le 30 avril et les pays de la zone concernée c'est-à-dire les îles dans l'Océan indien nomment, dans un ordre alphabétique, à tour de rôle et à l'avance les perturbations qui risquent de se former[22]». Or, il est établi par la plupart des écrits que le Soleil d’Orient se coucha définitivement dans les eaux de l’Océan indien le 1er novembre 1681, soit à une date proche de la saison cyclonique. Il put donc être terrassé par un ouragan.

Les réactions en France

Le Soleil d’Orient partit de Bantam le 6 septembre 1681, puis il disparut corps et biens. La nouvelle de sa disparition ne parvint en France que deux ans plus tard. Sa perte fut estimée à plus de 600.000 livres. Il fut décidé que, dans le délai d’un mois, les actionnaires verseraient à nouveau ¼ de la valeur nominale des actions, « afin que, continuant à la CIO sa politique de protection, elle puisse non seulement réparer toutes les pertes que les malheurs de la guerre, le peu de commerce qu’on avait de l’Inde et des voyages au long cours et l’inapplication des employés, qu’elle puisse augmenter son commerce et ôter aux étrangers l’avantage qu’ils avaient de tirer hors du royaume des sommes de deniers considérables, parce qu’au lieu que les Français fissent commerce avec l’Inde eux-mêmes, il a jusqu’ici passé aux mains des étrangers, ce qui a ôté à l’Etat l’avantage d’employer des ouvriers constructeurs de vaisseaux, matelots et gens de mer pour navigation et voyage au long cours [23]»

C’est ainsi que « le plus beau navire de la Compagnie, le Soleil d’Orient, a sombré avec 600.000 livres de marchandises. Les Hollandais s’étaient emparés du comptoir de Bantam, et la Compagnie avait perdu 500.000 livres, que le principal commis de ce comptoir, le Sieur de Guilhem, avait vainement réclamés à Batavia. Il ne restait plus que 1,03 million de livres pour capital des actionnaires[24] ». Le montant de la solde totale pendant les 4 mois à la mer s’élève à 13.600 livres. Il se monte à 4.680 livres pour les huit mois où les galères restèrent dans le port. Avant la disparition du Soleil d’Orient, la gestion des finances s’affichait déjà comme catastrophique, car « trois ans après le premier départ de ses navires, la Compagnie des Indes orientales n’avait enregistré aucune recette[25] »

[1] Evelyne Brisou-Pellen, ibid., pp 142-143
[2] Grace Deutsch et Avanthia Swan, Canada : une symphonie de couleurs, Ed. France-Empires, p. 243
[3] http://amis.univ-reunion.fr/Conference/Complement/166_bourbon/index_bourbon.html
[4] Colbert remarqua qu’il avait des difficultés à recruter des marins, ceux-ci n’étant pas attirés par le large et la vie sur un bateau, et renâclant aux tâches d’un marin. Par contre, il observa qu’ils se révélaient des magasiniers hors pair.
[5] Bernard Lutun, ibid, pp 135-136
[6] Ce commentaire vaut également pour les capitaines et officiers. Ainsi, l’ordonnance du 4 mars 1672, code des armées navales, p.176 « défend aux capitaines d’embarquer des bestiaux, de fournir une double ration non prévue dans les états du roi, et d’embarquer aucun passager sans une autorisation écrite du roi, sous peine de cassation ».
[7] Bernard Lutun, ibid, p. 75
[8] Ordre du 16 mars 1682 rédigé à Saint-Germain-en-Laye, copie aux Archives diplomatiques
[9] Lettre de 1682 ou 1683, document n°71, Archives diplomatiques
[10] Patrick Villiers et J.-P. Duteil, L’Europe, la mer et les colonies, Hachette
[11] Evelyne Brisou-Pellen, ibid., p. 185
[12] Ch. D., article Soleil d’Orient du 4 juilet 2008 paru dans Gazety . Malagasy du 9 novembre 2009
[13] Evelyne Brisou-Pellen, ibid, p. 133
[14] « Emmenez-moi », chanson de Charles Aznavour
[15] Erick Surcouf a également écrit « Sur la piste des trésors engloutis », Ed. Vagnon et, avec Christian Bex,L’or de la mer. Epaves et trésors engloutis, Ed. Le Cherche-Midi. Ces deux livres sont indisponibles.
[16] Bernard Lutun, ibid, p. 70
[17] Dirk van der Cruysse, Louis XIV et le Siam, Fayard, p. 123
[18] Voir
[19] Jules Satlos, Histoire de la Compagnie Royale des Indes Orientales (1664-1719), La Découvrance, p.79
[20] Voir
[21] Bernard Lutun, ibid, p. 210
[22] Voir
[23] Seignelay, Assemblée Générale, septembre 1684)
[24] Jules Satlos, ibid, p. 79
[25] Amiral Lepotier, ibid, p.61
France et Portugal ne sont jamais entrés en guerre. On pourrait alors penser avec du recul que l’accostage en catastrophe du Soleil dOrient au Mozambique ne pouvait pas dépasser le stade des négociations amiables.

Au Siam, en Inde et en Afrique orientale, si l’on se réfère au traité de Tordesillas (1494) relatif au partage du monde entre l’Espagne et le Portugal confirmé par la bulle papale de 1506, Le Soleil dOrient naviguait en zone portugaise. Dans cette zone, le Portugal possédait des comptoirs à Macao (Chine), Goa (Inde) au Timor Oriental, à Malacca et au Mozambique.

C’est au Mozambique que le Soleil d’Orient dut faire escale, afin de demander l’accueil aux Portugais par suite d’une voie d’eau.

En contrepartie de leur hospitalité, les Portugais ne réclament du Soleil d'Orient que quelques marchandises issues des cabotages du navire en Inde et reçoivent notamment de belles étoffes.

Il est attesté que l’équipage du Soleil dOrient, après avoir eu la mauvaise idée de débarquer malgré les instructions reçues, fut décimé dans sa quasi-totalité par la malaria.

En investiguant un peu, on retrouve dans un document intitulé «Sea Rogue, Ship Wreckage guide» le Soleil d’Orient dans la liste des bateaux portugais. Il y est recensé avec 300.000 francs-or, 400.000 pierres précieuses, des objets d'art, des bijoux, des épées, des objets en or et en argent. La Marine portugaise s’attribuait la propriété du Soleil d’Orient et des biens à son bord. A partir de là, deux hypothèses se dessinent. Le Soleil d’Orient est resté au Mozambique comme cadeau forcé d’un équipage français très reduit dans ses effectifs ou a été échangé contre un navire de fortune pour repartir. Un autre bateau aurait alors fait route vers la France, voire vers le Portugal.

Un élément vient cependant perturber cette hypothèse. En effet, le navire s’arrête à Fort-Dauphin, à la pointe sud-est de Madagascar, pour réparation d’une nouvelle voie d’eau. Le bateau stationne longtemps à Madagascar, alors qu’il transporte l’ambassade de Siam et des cadeaux évalués à 18 millions d’euros. Il y a pourtant urgence à aller trouver l’appui de Louis XIV et de la marine française. Cependant, rappelons-le, l’équipage est majoritairement portugais. Sa vision du monde et ses intérêts diffèrent sensiblement de ceux de l'équipage français

L’équipage du Soleil d’Orient, au service du roi du Portugal, semble content de faire du tourisme à Fort-Dauphin et d’y étaler les fruits de son commerce. Qu’est devenue l’Ambassade de Siam ? Quel usage a été fait des trésors que transportait le navire ? Les Portugais auraient-ils acheté l’hospitalité des Malgaches avec les cadeaux destinés à Louis XIV ? L'équipage aurait-il fait exploser le navire en pleine mer après en avoir retiré le trésor du roi de Siam et s'être débarrassé de son ambassade pour clôturer l’histoire et empêcher le navire de prendre un chemin qui ne servait ni leurs plaisirs ni leurs intérêts ?

L,hypothèse d’une mutinerie face à un trésor qui aurait tourné la tête à une grande partie de l’équipage n’est pas à exclure. Dans cette région de Madagascar, peut-on retrouver un nombre significatif de personnes d’origine ou d’appellation portugaise, descendants des membres de l’équipage du Soleil d’Orient ? Si oui, en garderaient-ils un souvenir transmis par leurs ancêtres ?

Résumons. Voies d’eau au Mozambique puis à Madagascar, effectifs surtout portugais, navire recensé parmi les bateaux de la marine portugaise, aucun intérêt pour les Portugais à faire arriver le bateau en France, mais très gros intérêt à se partager le butin d’un prestigieux bateau qui n’arrivera jamais à destination pour son ultime mission. On comprend alors mieux le gros malaise de l’époque autour de ce navire en France, alors qu’il était supposé commercer prestigieusement à travers l'Orient en fleuron de la marine française.

Ce malaise est toujours actuel, puisqu'on ne trouve pas la maquette du Soleil d'Orient au Musée de la Marine. La disparition du galion de Louis XIV n'a pas fini de poser question et de marquer les esprits avertis.

Pour toutes les raisons qui précèdent, le Soleil d’Orient a probablement bien quitté le Mozambique pour la France via Madagascar. Dès lors, si on peut le retrouver au fond de l’Océan Indien, sera-ce avec le trésor du roi de Siam ? Près de 350 ans après, peut-on espérer retrouver son épave dans un relativement bon état ?

A cette époque, Pays-Bas et Portugal se disputent la suprématie de l’Océan indien, ce qui relance les questions de la place finale du Soleil d’Orient.

Sur la base du document "Sea Rogue" cité plus haut, tiendrait-il place dans un musée nautique portugais, vu qu’il n’a pas sa maquette au Musée de la Marine ? Pourrait-on alors trouver des développements écrits intéressants en portugais sur le Soleil d’Orient au Portugal, voire au Mozambique ?

Se pose alors une question relevant du droit de la mer et du droit international. S'il était un bateau de la Compagnnie française des Indes Orientales, le Soleil d'Orient a disparu avec le trésor du roi de Siam dans les eaux territoriales malgaches. Dès lors, quelle nation peut prétendre avoir un droit sur ce bateau ? Madagascar, la Thaïlande, la France ? A quelle part chacun de ces oays peut-il prétendre ?

Toutes ces interrogations restent sujets à débat, mais permettent de mieux cerner les hypothèses relatives au sort final du navire. Comme le dit Pierre van den Bogaert dans le reportage de l'émission Thalassa sur les Maldives consacré au Soleil d’Orient diffusé le 9 avril 2010, « A force de chercher, on finit toujours par trouver. On peut…on doit le retrouver ! »

Sur un plan plus symbolique, le Soleil d’Orient se rapproche de la Toison d’Or ou de la Terre promise. Il suggère alors la reconnexion au Divin, représenté dans leurs pays respectifs par Phra Naraï et Louis XIV. Il invite à l'exploration et à la mise au grand jour de notre immense potentiel, trop peu exploité, faute d'en avoir pleinement conscience. Souvent, nos vastes possibilités sombrent dans l'inconscient, à l'image de 90% des informations que nous captons tout au long de la journée et du Soleil d'Orient avec ses richesses au sens large du terme, dispersées dans l'Océan Indien. Elles demeurent là, bien cachées. Seule certitude : en allant à la recherche de ces richesses, on finira par les retrouver, à condition de ne jamais s’arrêter de les chercher. Elles émergeront alors une à une avec des prises de conscience successives, signant une reconnexion de plus en plus puissante à notre dimension divine et à notre mission de vie. Alors, les termes de la loi s’inverseront et nous trouverons sans chercher, quel que soit l'objet de notre quête. Nous serons dès lors dans les meilleures dispositions pour retrouver et faire flotter de nouveau à la surface des eaux le Soleil d'Orient.
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  •  30/11/2021 20:00
  •   60128 Plailly, France

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  •  24/07/2019 20:00
  •   94230 Cachan, France

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  •  25/12/2018 21:00
  •   75004 Paris, France

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