INTRODUCTION : un bateau détourné de sa mission originelle

Quel autre bateau de la Marine française pourrait se targuer d’être auréolé d’à la fois autant de prestige, d’autant de mystère et d’autant d’opulence que le Soleil d’Orient ? Qui plus est, peu de bateaux furent frappés à ce point par la malchance.

Le Soleil d’Orient, premier grand vaisseau construit pour la Compagnie des Indes orientales (CIO) française, communément appelée Compagnie. fut aussi, à plus d’un titre, le plus important bateau de la marine française. Vaisseau de 1.000 tonneaux, 60 canons et 350 hommes d’équipage, il était supposé, transporter la gloire du roi de France aux quatre coins de la Terre.

Le mot Soleil dans le nom est tiré du Roi Soleil, titre que Louis XIV voulut s’accaparer en s’estimant l’égal de Dieu, représenté parfois sous la forme d’un soleil. « C’était en 1661, l’année où le roi Louis XIV avait été couronné et avait décrété qu’il gouvernerait seul, sans Premier Ministre. « Louis le Grand » ! Le pouvoir lui était monté à la tête, à celui-là. Il se prenait pour Dieu soi-même et se comparait au soleil ! Alors le Ciel s’était vengé en abattant sur le pays une épouvantable famine[1] »,

Pourquoi Soleil d’Orient ? Parce que le bateau était destiné à faire le commerce avec l’Orient (Inde, Chine, Madagascar, diverses îles de l’Océan indien, etc). Son importance amenait souvent les habitants des environs à venir voir évoluer sa construction. Ils disaient alors se rendre « à l’Orient », façon abrégée de dire aller voir la construction du Soleil d’Orient. Ce bateau donnera son nom au chantier (L’Orient), puis à la ville de Lorient, créée en 1666, soit deux ans après la CIO. Il fut en effet construit sur son futur site, et le soleil que l’on peut distinguer en haut à gauche sur ses armoiries représente le Soleil d’Orient.

A partir de là, trois grandes pistes sont envisageables : le naufrage, la capture et le détournement. Chacune d’entre elles détient des raisons à partir lesquelles nous formulerons des hypothèses. Nous tenterons d’évaluer leur degré de probabilité.

Colbert etait convaincu de la nécessité de fonder une Compagnie des Indes orientales et d’y affréter de nouveaux bateaux. Il etait conscient des difficultés à trouver un site pour la construction du Soleil d’Orient, les frégates et autres vaisseaux de la CIO à l’époque où le bras droit de Louis XIV orchestrait leur fonctionnement et la mise en chantier du vaisseau. Les choix effectués à l’étape de la construction du Soleil d’Orient s’avérèrent déterminants pour son avenir. Ils pourraient expliquer ses déboires en mer, que nous évoquerons dans une deuxième partie, où nous analyserons les causes de la disparition du Soleil d’Orient liées à ses retenues prolongées dans des ports par suite de catastrophes en mer. Au-delà de ces analyses, le plus important restera à faire : déterminer les circonstances de la disparition du Soleil d’Orient après qu’il ait quitté Fort-Dauphin en septembre 1681. Nous nous y emploierons dans une troisième partie.

Le Soleil d’Orient avait au départ une vocation essentiellement commerciale. En fait, ses missions se révélèrent finalement diplomatiques.

Les 60 canons et les 300 hommes d’équipage du navire semblent évoquer une mission militaire. Le fondateur de la CIO que fut Jean-Baptiste Colbert avait bien compris que le commerce ne pouvait pas se développer sans des défenses militaires. Or, Louis XIV, pris dans des guerres à répétition en Europe, ne put pas consacrer autant d’argent qu’il aurait souhaité au développement militaire des comptoirs français, en Inde notamment. Les 60 canons servaient à assurer la défense des biens transportés et la sécurité de l’Ambassade de Siam ramenée en France avec son escorte diplomatique et ses cadeaux du roi de Siam, Phra Naraï, à Louis XIV, à sa famille et à Colbert. Le montant des cadeaux est estimé à 18 millions d’euros actuels.

Ce trésor disparut avec l’Ambassade et tout l’équipage le 1er novembre 1681, entre Madagascar et le Cap de Bonne-Espérance, peu après avoir quitté Fort-Dauphin. Il n’a jamais été retrouvé à ce jour. Qu’est-il devenu ? Nous nous attacherons à rechercher les circonstances de sa disparition sur la base des documents d’époque et des reconstitutions dont nous disposons.

[1] Evelyne Brissou-Pelen, Le Soleil d’Orient, p.24