La triste fin du Soleil d’Orient pourrait bien avoir pour cause essentielle des négligences à son égard, notamment lors de ses phases d’entretien.

De la rétention au port à la dégradation du Soleil d’Orient


Le Soleil d’Orient a eu une carrière bridée par de longues et fréquentes rétentions dans les ports ou par des haltes répétées dues à des incidents. Ce destin haché retint l’élan des marins du plus grand bateau de la marine française et tempéra leur enthousiasme pour la mer.

Après sa première sortie du port de Lorient, le Soleil d’Orient est pris dans une tempête et démâte à 100 lieues de La Rochelle. Il se réfugie au port pour des réparations.

Il restera, à quelques cabotages près, deux ans dans le port charentais, pour n’en sortir que le 12 mars 1672, sous les ordres du Capitaine de Boispéan. Le règlement veut alors que lorsqu'un bateau est à quai, le marin ne touche qu’une demi-solde et n’a guère le cœur à entretenir le bateau. Pressé de reprendre la mer au début, il finit par se lasser de ces attentes prolongées et s’oriente vers d’autres activités, goûte à la vie du port et s’y attache. On comprend un peu mieux, dans ces conditions, comment Colbert éprouva autant de difficultés à recruter un nombre de marins suffisant.

A rester retenu au port aussi longtemps, le Soleil d’Orient a probablement souffert d’un manque d’entretien et de la fréquentation de ses 300 matelots. La mer n’était pas là pour nettoyer le bateau et l’empêcher de moisir.

Et puis, en ville, il y a bien plus de 300 personnes, et on ne trouve pas parmi elles que des personnes bienveillantes à l’égard du Soleil d’Orient.
Les enfants de marins disparus étaient autorisés à suivre une formation gratuite à l’école d’hydrographie dès l’âge de huit ans. « La vie du matelot, c’est le destin du Breton [1] ». Le premier traité d’hydrographie, écrit par le Père Georges Fournier (1595-1652), servait de référence[2]. A la suite de cette formation, ils étaient engagés comme volontaires pendant deux ans sur le bateau et ne percevaient pas d’émoluments pendant cette période.
Par ailleurs, le nombre important de marins engagés sur le Soleil d’Orient signifiait une grande fragmentation et une répétitivité significative des tâches qui ne pouvaient engendrer que lassitude et démotivation, et déboucher sur des querelles.

Ce manque d’enthousiasme des marins à servir sur le bateau a pu être à l’origine de négligences et d’un manque de zèle compromettants, tant pour la solidité du bateau que pour sa défense.

Qu’il s’agisse des attentes inexpliquées à Bantam et à Fort-Dauphin, d’une activité limitée à de petits cabotages au cours de sa réparation à La Rochelle ou de la tempête suivie de fièvre jaune et de paludisme au Mozambique, le cœur n’y était plus chez les marins du Soleil d’Orient qui y avaient perdu l’équipe qui l’entretenait et le guidait.

Au retour, une prescription de 1681 s’attaque au Soleil d’Orient: « le premier souci est d’ordre sanitaire, et la quarantaine est imposée aux navires provenant des zones infectées par une maladie contagieuse. Le capitaine doit se soumettre au rapport, mode de preuve en droit privé » et source d’information pour le Secrétaire d’Etat, à qui il est communiqué par extraits. Celle-ci peut être d’un grand secours en temps de guerre ou de tension internationale [3] ».

 Un équipage renouvelé


Si la quasi-totalité de l’équipage n’avait péri au Mozambique, il aurait accompagné l’Ambassade de Siam. Ses hommes étaient certainement fiers d’avoir été recrutés pour servir à bord du plus grand navire de la marine française, en vue d’accomplir ses missions en Orient. Ils auraient sans doute apporté beaucoup de soin à leur tâche et témoigner de l’empressement à amener en France les ambassadeurs de Siam et les cadeaux de Phra Naraï à destination de leur roi. Le deuxième équipage, qui prit la relève sous les ordres du capitaine De Boispéan à la suite de l’épisode du Mozambique et après que le Soleil d’Orient ait été réarmé à Lorient, était probablement dans dispositions différentes, ceci parce que ce n’était pas « son » bateau, mais « un » bateau, sur lequel l’obligation de servir et le détachement l’emportaient sur la joie et la fierté de servir. Aussi, pensons-nous que cette nouvelle attitude a pu être à l’origine de négligences gravement préjudiciables au Soleil d’Orient.

Le Soleil d’Orient connut des malheurs qui semblent relever de la malchance pure. Tout s’est passé comme si ce vaisseau, le premier construit pour la Compagnie des Indes orientales, devait payer de sa vie et de celle de ces matelots, afin que les bateaux suivants de la Compagnie naviguent en toute sérénité, et que les phénomènes naturels soient enfin rassasiés de leur appétit sur cette compagnie qui, il faut l’avouer, ne demandait, tout comme ses semblables que furent VOC et l’EIC, qu’à vivre, prospérer et briller. Ainsi, fut-il désarmé deux fois, en 1677 et 1678, en raison du blocus du Port-Louis par les Hollandais. Il put partir en 1679. Mais, arrivé aux Indes, il y reste jusqu’en 1681, année de sa disparition.

Au total, de sa naissance à sa disparition, le Soleil d’Orient a beaucoup souffert : de tempêtes, d’une surcharge en hommes et en matériel, de ses longues attentes pour réparation dans certains ports et de la perte de ses premiers serviteurs.

 La négligence, cause fondamentale de la perte du Soleil d’Orient

En concordance avec les observations de Richelieu (note 14), il est possible que le Soleil d’Orient se soit ouvert et ait sombré rapidement. De nombreux témoignages confirment sa rapide disparition. Cependant, malgré les recherches entreprises par des équipes de plongée française et malgache depuis 1997, on n’a toujours pas retrouvé trace du Soleil d’Orient dans les abysses de l’Océan indien.

Avec un meilleur entretien, le Soleil d’Orient eût connu un autre destin. Il serait en effet reparti de Bantam et de Fort-Dauphin à des dates favorables, qui lui permettaient d’éviter de forts courants marins contraires, de faire face à des tourbillons moins violents et d’arriver en France dans de bonnes conditions. Cette arrivée aurait scellé une alliance entre la France et le Siam se traduisant par une pénétration en Orient. Elle aurait signifié pour la France un destin certainement différent, bien que déjà fort honorable, de celui qu’elle connut après la disparition du Soleil d’Orient


[1] Evelyne Brissou-Pelen, ibid

[2] Amiral Lepotier, ibid

[3] Bernard Lutun, ibid, p. 71